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Vivre quand la douleur s’impose au quotidien


Bon nombre d’entre nous qui vivons avec une maladie chronique l’avons appris par un diagnostic. C’était posé, là, sur le papier, les tests le montraient. Et puis le médecin l’a dit aussi. Vous êtes… Vous avez… Mais vous savez c’est pas la fin du monde… Mais notre monde finit quand même par s’écrouler. 

Un poète malade se tord de douleur, représentée par un brouillard obscur qui ronge ses membres.
Photo retouchée par mes soins me représentant rongé par la maladie et le désespoir

Une maladie sans nom, une douleur sans fin

Je n’ai pas vécu le choc de l’annonce qui rend sans voix. Même si longtemps, j’ai été sans voix face à l’indiscernable et l’impalpable mal qui rongeait mon corps, mais aussi mon esprit. Jusqu’à présent, je ne sais pas si je dois dire un “problème,” une “maladie” ou une “douleur.” En réalité, c’est sûrement un peu de tout ça à la fois.

Peut-être que le pire c’est que je ne connais pas le diagnostic précis, détaillé, concluant de ce dont je souffre. C’est vrai qu’on a tendance à vouloir tout conceptualiser. On aime catégoriser, fragmenter, sectionner. On aime expliquer.

Et les médecins ont quand même le dernier mot. Ces piliers de la santé publique ont la légitimité de la blouse blanche et de l’écriture illisible. Parfois on fait aussi face à leurs égarements moraux, leurs états d’âme, leur égo désenchanté. Alors on connaît la violence aux mains de ceux qui sont censés nous guérir. Rien de pire. 

« C’est dans votre tête » : la douleur chronique et le corps médical

“C’est dans votre tête.” C’est la phrase qui revient souvent et qui ne veut aussi souvent rien dire. Mais c’est surtout le ton, certain voire hautain, comme si nous gâchions leur temps précieux et feignions notre mal-être. Bien des choses se cachent à la vue de leurs yeux et de ceux des autres. 

Des médecins chirurgiens opèrent un malade sur la table d'opération.
Des médecins chirurgiens opèrent un patient sur la table d’opération

Pour moi, tout a commencé en 2017. Je nomme ma douleur post-opératoire parce que ce n’est qu’après l’opération chirurgicale de mon aine gauche que ma vie a changé. Au début, tout allait bien, même si je n’ai jamais autant souffert que les trois jours qui ont suivi mon opération. Je suis même parti en Floride pour un programme d’échange entre universités.

Puis au bout de plusieurs mois, j’ai commencé à sentir des douleurs que je n’avais jamais senties auparavant à l’endroit où je m’étais fait opérer.

La fin de mon séjour en Floride fut horrible. Je me souviendrai toujours du mal dans lequel j’étais plongé. Mon moral était au plus bas. Je sentais un trou noir en bas à gauche de mon abdomen, épicentre des tentacules de violences qui parcouraient mon ventre et mon corps. 

Un intrus dans mon corps, suis-je vraiment moi-même ?

Je ressentais des décharges électriques spontanées. Elles me prenaient à l’aine, près du nombril, près de mes cicatrices. Je sentais des aiguilles se faufiler dans les entrelacements de mes viscères, interrompant ma marche et mon souffle.

À ces sensations se mêlaient peu à peu des coups de couteau hasardeux. Je priais pour que ces peines étrangères qui envahissaient mon quotidien s’arrêtaient, ou s’espaçaient le plus possible dans le temps… 

Puis vinrent les sensations de brûlure. Sourdes, longues, comme un grillage qu’on aurait trempé dans de la lave avant de le coudre en vous. Malgré mes questions et des explorations diverses, mon médecin chirurgien fut incapable de m’aider. Il prêtait peu attention à mon cas, me reportait à d’autres spécialistes, avant de finalement se déresponsabiliser complètement des conséquences de l’opération et de mon rétablissement. 

J’en vins, comme bon nombre d’entre nous avec une maladie chronique, à parcourir un marathon médical éreintant. L’effort n’était pas tant physique (quoique) mais surtout émotionnel, psychologique, spirituel. Ce que je voulais vraiment c’était une solution, c’était reprendre le contrôle de mon corps et ne plus me sentir étranger à moi-même.

Quand la douleur devient souffrance, le désespoir comme seule réponse

J’ai cherché, cherché et cherché, seul, une réponse. Comme si cette espèce d’inflammation tiraillait les vertèbres et organes alentour, je commençais à développer des problèmes intestinaux. J’avais l’impression que j’étais à 20 ans déjà, condamné à vivre et mourir avec cette blessure interne, d’où qu’elle provienne, transformant ma vie en une lutte constante.

Et durant toute cette quête éprouvante, je peinais à faire les choses les plus simples du quotidien et peu à peu lâchais prise sur ma vie académique, professionnelle, sociale. Rien ni personne ne faisait plus sens face à la souffrance solitaire dans laquelle je me trouvais.

Comme si mon corps et mon esprit ne faisait qu’un, le mal que subissait l’un s’étendait à l’autre et provoquait en moi un désespoir. Dés-espoir. C’est le mot. Quand on le décortique, de façon simple, il traduit toute l’ampleur des conséquences de la maladie ou de la douleur chronique sur notre vie.

Qui peut espérer la joie, la paix, la vie lorsque le temple qu’est votre propre corps ne peut les trouver ?

Tout lâcher pour retrouver l’envie de vivre

Alors, un jour, j’ai tout lâché. Mon job étudiant, mes proches, mon école. J’ai fugué et ghosté tout le monde parce que je voulais retrouver l’envie de vivre. 

C’est ce que je voulais dire quand mes parents ou l’équipe pédagogique de mon école me demandaient pourquoi je suis parti. Je leur ai répondu simplement : pour ma santé. Ils ne comprenaient pas. Mais je n’avais pas besoin que quiconque me comprenne à cet instant. Moi, j’avais besoin de vivre.

La traversée du danger pour retrouver l'envie de vivre à La Réunion.
Photo prise sur l’île de La Réunion, le panneau indique : « Danger, risque d’effondrement de la passerelle »

Sur un coup du sort, trois événements qui m’ont paru être des signes et surtout un billet au tarif jamais vu, je suis parti à La Réunion. Les personnes que j’ai rencontrées et les expériences que j’ai vécues là-bas m’ont fait redécouvrir ce pourquoi j’existais. Durant mon périple, j’ai frôlé un péril volontairement. En ayant failli trouvé la mort, j’ai retrouvé la vie.

Je remplissais enfin mon esprit de fines bulles d’optimisme qui finissaient par s’enraciner subtilement dans mon inconscient. Je défiais chacun des schémas de pensées négatives qui naissaient de mes sensations douloureuses. 

De la souffrance à la résilience : un interminable combat

Mes explorations ne se sont pas arrêtées pour autant. Je continue ma quête et mes expérimentations dans l’espoir de ne plus vivre avec cette condition chronique, quelle qu’elle soit. 

Tant que je ne peux entièrement guérir, j’essaie de comprendre. Comprendre me permet d’accepter cette affliction tout en adaptant ce que je peux contrôler. J’apprends à discerner à quel point et comment je peux mieux prendre soin de mon corps, comment je peux vivre malgré le désordre, avec le désordre.

Je me dis que la vie est une roulette. Certains touchent le jackpot, mais c’est rare. Qu’importe le jeu sur lequel on tombe, il nous faut apprendre à jouer nos cartes. Car même quand la main est mauvaise, c’est à nous qu’il revient de faire pencher la chance en notre faveur, du moins comme on le peut. 

Face au futur, j’ai moins peur, même s’il me reste encore beaucoup à parcourir, à comprendre, à surmonter. Je sais que certaines réalisations, dans tous les sens du terme, ne viennent qu’avec le temps.

Peut-être aurai-je un jour une réponse à mes maux, peut-être qu’une fois la solution trouvée, je dirai : « ah ! voilà ce que c’était tout ce temps ! » Peut-être. Mais en attendant je dois vivre. Je veux vivre.

Malgré la maladie, malgré la douleur, malgré le désespoir qui s’empare toujours de moi de temps à autre. Je veux y faire face avec autant de grâce et de résilience que possible.

Je veux vivre.


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